Smokey Mountain Road : Notre mésaventure Ouest-Américaine
Nous avons pris une pause d’un an suite à notre traversée du Canada, question de commencer l’aménagement d’un nouveau véhicule et de préparer nos prochains périples. Une escapade dans l’Ouest américain revenait souvent dans les sujets de conversation et ce n’était qu’une question de temps avant de la réaliser. Les astres se sont alignés l’été dernier et nous avons décidé de partir malgré les douze milles kilomètres à parcourir en trois semaines. Avec une aussi grande quantité de choses à voir et à faire en si peu de temps, il nous fallait faire des choix. Une de mes requêtes à ce sujet était la traversée du Grand Staircase National Monument par les routes secondaires. C’est ainsi qu’après quelques heures de recherche, j’ai trouvé un tracé idéal reliant les villes de Big water et Escalante par la Smokey Mountain Road, nommée ainsi en l’honneur de la montagne qu’elle escalade.
Tout s’était bien déroulé jusqu’à présent et la région du Grand Canyon nous en mettait plein la vue depuis quelques jours. Nous avions déjà fait un peu de hors-route en Arizona sur le North Rim et on se sentait d’attaque pour notre tracé de 120 kilos. La route semblait de bonne qualité malgré quelques sections de planche à laver qui nous ont forcés à faire un petit arrêt pour ajuster la pression des pneus. Un panneau sur le bord de la route identifiait une plage dans le coin de Crosby Canyon quelques 20 kilomètres plus loin. Il était encore tôt et nous avons décidé d’aller explorer les berges du lac Powell. La route avait fait place à un sentier au travers des rochers qui, à son tour, se transformait en dunes de sable avec plus ou moins d’indications. Après quelque fausses directions, nous avons finalement réussis à se rendre sur le bord du lac pour une courte pause avant de reprendre la direction de notre objectif principal.
De retour sur le tracé principal, nous sommes arrivés un peu plus loin à un embranchement situé au pied de la montagne. Les indications nous donnaient le choix d’aller à droite ou à gauche mais les deux chemins se recroisaient au sommet selon le plan. Celui de droite semblait moins abrupte, nous avons donc opté pour celui-là. Finalement, l’ascension d’une dizaine de kilomètres était digne des routes de l’impossible. Un précipice de chaque côté pour la première partie suivi d’une succession de courbes à flanc de montagne nous apportait sur le plateau principal. Une fois en haut, la vue et la route étaient splendides, ce qui a amoindri quelque peu le vertige de ceux et surtout celles qui ont moins aimé le trajet. Dehors, le tonnerre et la foudre s’en donnaient à cœur joie mais on n’y portait de moins en moins attention, puisque les derniers jours avaient été semblables. Les arbres abattus et brûlés par la foudre sont monnaie courante dans la région. La végétation était presque inexistante outre les petits arbustes secs, portrait type des déserts arides de l’Arizona et de l’Utah. La route était sablonneuse et confortable, le genre de route que je roulerais pendant des jours sans me lasser.
Une fois la traversée du plateau effectuée, la descente vers le canyon fut saccadée en plusieurs petits vallons rocailleux. Le tonnerre grondait et les éclairs encore plus forts semblaient se rapprocher mais toujours pas de pluie. Nous étions maintenant rendus dans le creux du canyon et la route si agréable jusqu’à ce moment me pris par surprise quand le dernière du camion partit à la dérive à la sortie d’un virage. Après un coup d’œil par la fenêtre, j’ai vu qu’une couche visqueuse recouvrait la surface de la route. Sans trop de préoccupations, j’ai embrayé le mode 4×4 et nous avons continué notre chemin. Plus on avançait, plus c’était glissant mais la traction était encore raisonnable. Jusque là, tout était sous contrôle mais nous avons été confrontés à un deuxième défi. Au moment où la route descendait plus creux dans le fond du canyon, elle était partiellement lavée. Chaque traversée était devenue de plus en plus ardue et j’ai sérieusement commencé à douter de la tournure des événements. Le tonnerre avait continué à gronder et la pluie semblait se rapprocher dangereusement. Une certaine panique a envahi mon esprit lorsque j’ai réalisé que si la pluie se mêlait de la partie, nous pourrions être définitivement prisonniers dans le canyon.
Après une étude de nos cartes, il nous restait environ 40 kilomètres jusqu’à Escalante mais une jonction apparaissait 10 kilomètres plus loin à la sortie du canyon. Si on réussissait à s’y rendre, peut-être que les conditions seraient meilleures et nous ne serions pas obligés de rebrousser les 80 kilos déjà derrière nous. Des coulées de boue et des montées rocheuses délavées se succédaient de plus en plus et m’obligeait à descendre du camion pour évaluer le tracé à chaque fois. Plus de deux heures avaient été nécessaire pour se rendre à la croisé des chemins où l’on pouvait apercevoir des enclos et une petite cabane mais aucune trace de vie. Depuis le début du trajet, nous n’avions croisé personne mais surtout, aucune empreinte de pneu nul part.
À ce point, la route semblait plus large et en meilleur état mais le doute persistait toujours car nous étions encore dans le fond du canyon et selon nos cartes, nous devions croiser la rivière une trentaine de fois. Les traces d’un véhicule ont fait leur apparition à l’horizon et nous ont donné un regain de confiance du même coup. La tension avait commencé à diminuer après une belle section et nous a même permis de rouler à près de 30 kilomètres à l’heure. On commençait même à penser arriver à Escalante avant le coucher du soleil. C’est lorsque l’on baisse la garde que les erreurs arrivent et c’est de cette façon que nous nous sommes retrouvés coincés dans une marée de boue qui a ensevelit la route sur une distance d’environ 200 pieds et d’une profondeur d’environ deux pieds. Les traces du véhicule précédant s’étaient refermées après son passage et c’est pour cette raison que nous ne l’avions pas vu. Définitivement, ce véhicule était plus léger que le nôtre. Une heure de pelletage intensif a été nécessaire pour nous extirper de cette substance visqueuse qui se refermait à chaque coup de pelle. Ce n’était que le premier croisement de la rivière…
Un demi-kilomètre plus loin, c’était à recommencer. Cette fois là, j’avais pris les moyens pour avoir assez de momentum et passer au travers mais ce fut différent pour le troisième car il était impossible à franchir. Trop profond et étalé sur une longue distance, on n’en voyait même pas la fin. Les traces du véhicule précédant démontraient qu’il avait essayé mais en vain, je les ai donc suivi pour voir par où le véhicule avait réussi à contourner cette mer de boue. La seule solution semblait quitter la route, rouler aux travers de la végétation et éviter les fossés trop profonds. Notre empattement était définitivement plus long que l’autre véhicule et il était impossible de suivre leurs traces. Il a fallu sortir la pelle une fois de plus. Il était primordial de garder notre camion en mouvement si on voulait se sortir de ce pétrin.
Heureusement la pluie ne semblait pas vouloir tomber, du moins, pour l’instant et c’était une très bonne nouvelle car le niveau critique de la situation aurait atteint le sommet. Nous étions rendu trop loin pour retourner sur nos pas. Toujours selon nos cartes, la route croisait le lit de la rivière encore une quinzaine de fois. Nous avons décidé d’y aller une à la fois tout en restant vigilant pour éviter les fausses manœuvres. Nous avons réussi à regagner la route après un court trajet dans le fond du canyon où la rivière semblait asséchée par endroit. Les traces avaient disparues et nous sommes tombés encore une fois sur un barrage boueux. Une vieille vache maigrichonne nous regardait nonchalamment de son enclos pendant qu’on cherchait notre chemin. Nous sommes retournés sur nos pas pour retrouver les traces et s’apercevoir qu’elles avaient, une fois de plus, franchi un fossé. Cette fois ci, c’était clair que le véhicule n’était pas un 4×4 mais bien un véhicule de type côte-à-côte.
Après une série de manœuvres en devers, autant descendante que montante, nous roulions maintenant dans le lit de la rivière que nous avons finalement décidé de suivre jusqu’au bout. À chaque croisement, la route était coupée dans un immense bain de boue mais, le passage était plus facile de notre côté. Le nombre de traversée diminuait et on était de plus en plus convaincus qu’on y arriverait. Quel fut notre soulagement lorsque nous avons réussi à regagner la route à la dernière traversée, voyant qu’on allait enfin sortir du canyon alors que le soleil commençait à se coucher.
Nous avons décidé d’arrêter dans le premier camping sur le bord de la route pour nous relaxer un peu et prendre une douche bien méritée. Intriguée de nous voir débarquer si tard et un peu démolit, la tenancière nous a demandé d’où nous étions arrivés. Après lui avoir raconté notre périple, elle nous a répondu que les pluies torrentielles des deux dernières semaines étaient probablement en cause avant de rajouter qu’elle avait roulée cette route il y a un mois avec son Honda Accord! Heureusement que nos trois valeureux petits soldats sont maintenant habitués aux longues sorties car ils ne semblaient pas s’être préoccupés de la situation durant nos déboires. Ils nous ont même préparé notre feu pendant qu’on s’occupait du souper. Le retour au calme et surtout la terre ferme était, pour une fois, réconfortant.